Survival et les Bushmen de la réserve du Kalahari : 40 questions

Un aîné bushman, Réserve du Kalahari, Botswana, 2004. © Survival International

Un entretien avec Stephen Corry, directeur de Survival International

1 – Pourquoi Survival veut-elle maintenir les Bushmen dans un passé révolu ?

Ce n’est pas notre but. Notre campagne n’a strictement rien à voir avec l’archaïsme ou la modernité, elle ne fait que promouvoir la légitime revendication des Bushmen qui est de pouvoir vivre librement sur leur terre ancestrale et d’être traités avec respect.

2 – Mais le Kalahari est une réserve naturelle – il est évident que les gens ne peuvent pas y vivre ?

Pourquoi pas ? Il l’ont fait pendant des siècles. Quel mal ont-ils fait ? Des gens vivent – tout à fait légalement et sans aucun problème – dans des zones protégées du monde entier.

3 – Lorsque la réserve fut créée, les Bushmen n’avaient pas de troupeaux. La situation est différente maintenant.

Elle n’est pas si différente que cela. Les Bushmen ont de petits troupeaux de chèvres et quelques pâturages qui leur ont été octroyés par le gouvernement lui même il y a des décennies. Ils ont également des chevaux depuis une vingtaine d’années. Ils ne maltraitent absolument pas leur environnement, ils lui viennent plutôt en aide : ils ont une bien plus grande connaissance de la vie sauvage que les gardes forestiers.

4 – Le gouvernement a prétendu que leurs troupeaux étaient malades et qu’ils contaminaient la faune sauvage de la réserve.

C’est faux. Ce prétexte a été utilisé parmi d’autres pour tenter de justifier le refus des autorités de permettre aux Bushmen de revenir dans la réserve après leur expulsion. Avant leur relocalisation, les autorités n’avaient fait aucune évaluation des supposés effets négatifs des Bushmen sur la vie sauvage.

5 – Les autorités affirment que les Bushmen chassent à l’aide de fusils à bord de véhicules.

C’est également faux. Les gardes forestiers eux-mêmes l’ont constamment démenti, ainsi d’ailleurs (et sous serment) que l’ex-directeur du département de la vie sauvage. Où les Bushmen sont-ils supposés trouver des munitions pour leur "fusils de grande puissance" et l’argent pour les payer ?

6 -N’est-il pas de la responsabilité du gouvernement de s’assurer que les Bushmen ont accès aux services de santé ?

Les Bushmen bénéficiaient d’un poste de santé mobile dans la réserve avant que les autorités ne le suppriment. Ils ne sont pas plus éloignés du poste de santé de New Xade que de nombreuses communautés isolées du Botswana ne le sont du poste de santé le plus proche. De toute façon, si des Bushmen veulent se rapprocher d’un poste de santé, ils peuvent choisir d’aller vivre à New Xade. Pourquoi les forcer ? Les deux autres camps de relocalisation (Kaudwane et Xere) n’ont même pas de poste de santé, ils n’ont qu’une toute petite antenne sanitaire.

7 – N’est-il pas aussi de la responsabilité du gouvernement de faciliter l’accès à l’éducation, était-ce trop onéreux de le faire dans la réserve ?

Il existait une école dans la réserve avant que les autorités ne la ferment. Mais il était beaucoup moins coûteux de transporter les enfants de leurs communautés à l’école que de financer les relocalisations.

8- L’approvisionnement en eau dans la réserve n’était-il pas trop coûteux ?

Non, le coût d’approvisionnement en eau des nouveaux camps à l’extérieur de la réserve est beaucoup plus élevé. Si ce n’était qu’une question de coût, les autorités auraient fait ce qui a déjà été fait : forer de nouveaux puits, ce qui évite d’envoyer des camions d’approvisionnement d’eau dans la réserve. L’Union européenne avait proposé de financer le forage de nouveaux puits mais le gouvernement a refusé. Cela ne coûte rien du tout aux communautés de tirer l’eau de leur propre puits. D’un autre côté, le nouveau camp de relocalisation de New Xade situé en dehors de la réserve n’avait pas d’eau et il a fallu construire à très grand frais un pipeline pour transporter l’eau qui en réalité vient de la réserve !

9 – Pourquoi Survival veut-elle que les Bushmen retournent dans la réserve ?

Nous ne voulons pas que tous les Bushmen reviennent dans la réserve. Nous voulons que, pour ceux qui le désirent, leur droit d’y retourner soit respecté. Leur nombre ne dépassera probablement pas un millier. Pourquoi le gouvernement les empêche-t-il d’y retourner ?

10 – Pourquoi Survival veut-elle que les Bushmen soient coupés du reste de la société ?

Ce n’est pas notre volonté. Ils ne l’ont jamais été. Jusqu’à une époque très récente, ils ont toujours pu aller et venir dans la réserve comme ils le désiraient. Ce qui n’est pas si différent de ce qui se passe pour d’autres citoyens botswanais qui ont leurs fermes à la campagne tout en travaillant en ville. Les Bushmen devraient pouvoir garder leur maison dans la réserve et aller et venir librement. A qui cela nuit-il?

11 – Est-ce que "vivre avec les animaux" n’est pas complètement dépassé ? Pourquoi laisser faire cela dans le Botswana moderne ?

Au Botswana, la plupart des gens "vivent avec les animaux", dans la plupart des cas ce sont des troupeaux de vaches et de chèvres. En quoi cela est-il plus "moderne" que la chasse? Ce n’est effectivement pas si différent. Penser que c’est "inférieur" n’est que pur préjugé.

12 – Les Bushmen ne vivent-ils pas d’une façon très primitive dans la réserve ?

Non, ce sont des êtres humains intelligents. Ils vivent et mangent bien. Ils mettent leur environnement à profit comme si c’était leur supermarché. D’autres citoyens botswanais utilisent leurs troupeaux de la même façon ou usent de leurs compétences pour gagner de l’argent et acheter de la nourriture. Les Bushmen, eux, tirent parti de leurs connaissances pour se nourrir sans avoir besoin d’argent. Il n’y a rien de "primitif" à cela. Ils méritent le respect pour leur mode de vie, comme tout un chacun.

13 – Certains peuples sont certainement plus avancés que d’autres ?

C’est une vieille théorie européenne qui a été utilisée pour justifier le colonialisme et le fascisme. C’est ce que disaient les racistes européens des Africains. Cette théorie n’a aucun fondement scientifique. (Mais, même si certains peuples étaient "inférieurs" ou "attardés", cela ne justifierait en rien la violation de leurs droits.) Il est certain qu’il existe des sociétés plus faibles que d’autres, mais cela n’a rien à voir.

14 – Survival croit-elle au "progrès" ?

Oui, nous croyons que la base fondamentale de tout progrès humain est le respect de l’autre, particulièrement de ceux qui sont les plus faibles. Il est beaucoup plus simple pour un gouvernement comme celui du Botswana de respecter la majorité et les puissants !

15 – Mais il n’y a qu’une infime minorité de Bushmen qui veulent vivre dans la réserve.

Alors pourquoi ne pas les laisser ? Environ 650 d’entre eux ont été expulsés de force en 2002 et, malgré le harcèlement des autorités, environ 250 y sont retournés jusqu’à ce qu’ils en soient chassés de nouveau en 2005. La grande majorité d’entre eux a exprimé son désir d’y retourner.

16 – N’y a-t-il que les gens âgés qui veulent vivre dans la réserve ?

Pas du tout : un grand nombre de jeunes veulent également vivre sur leurs terres ancestrales.

17 – Pourquoi Survival essaie-t-elle de mettre en danger l’économie du Botswana ?

C’est faux. Qui aurait avantage à nuire au Botswana ? Au contraire, nous essayons de venir en aide au secteur le plus défavorisé de la population.

18 – Alors pourquoi cet appel au boycott ?

Le boycott est l’un des rares outils que l’opinion publique a à sa disposition pour exprimer ce qu’elle pense des faits et gestes des gouvernements ou des multinationales. Cela ne nuit en rien à l’économie du pays, mais compromet la réputation des gouvernements. Tous les produits d’Afrique du Sud ont été boycottés durant des années sous l’apartheid.

19 – Mais si le boycott nuisait à l’économie du Botswana, ne serait-ce pas la faute de Survival ?

Non, ce serait la faute du gouvernement. Le boycott pourrait se terminer demain si les Bushmen étaient traités d’une façon juste. Aucun gouvernement actuel ne devrait se permettre d’opprimer ses minorités. La solution au problème se trouve du coté du gouvernement et non de Survival. Il peut mettre fin au boycott dès demain simplement en respectant le jugement de sa propre cour de justice et en laissant les Bushmen vivre librement sur leurs terres sans avoir à obtenir un permis pour entrer chez eux.

20 – Survival ne s’en prend-elle pas à un Etat africain pauvre ? Pourquoi ne balayez-vous pas devant votre porte en vous occupant des Roms par exemple ?

Survival suit attentivement un grand nombre de cas dans le monde entier, y compris dans des pays occidentaux tels que le Canada. De manière générale, nous concentrons nos efforts sur les peuples autochtones les plus vulnérables – dont certains vivent dans l’isolement –, ceux qui ne peuvent faire entendre leur voix. Nous n’avons pas travaillé avec les Roms parce que, d’une part, ils ne correspondent pas à ces critères et, de l’autre, ils sont généralement très bien organisés et ne nous ont jamais demandé d’aide.

21 – Survival n’est-elle pas une nouvelle venue sur la scène ?

Non, Survival soutient les Bushmen depuis 1970, quand nous avons récolté des fonds pour financer des projets du gouvernement botswanais en faveur des Bushmen. Notre première rencontre avec les représentants du gouvernement concernant leurs projets dans la réserve date du début des années 1980.

22 – Pourquoi ne laissez-vous pas la place aux ONG botswanaises comme par exemple Ditshwanelo ?

Parce que l’expérience nous a montré qu’elles sont beaucoup trop proches du gouvernement pour être impartiales ou pour représenter réellement les intérêts des Bushmen.

23 – En Afrique australe, nous faisons les choses en dialoguant amicalement et non en critiquant.

Ce n’est pas toujours le cas. C’est grâce à l’opposition locale et internationale que l’absurde projet de drainage du fleuve Okavango a pu être arrêté dans les années 1990. L’histoire est remplie d’exemples confirmant que l’opinion internationale a pu changer des politiques dans le monde entier, y compris en Afrique. Le respect des droits humains est notre responsabilité à tous.

24 –  Le gouvernement n’a-t-il pas négocié avec les Bushmen à une certaine époque ?

Non, il a toujours refusé de négocier avec les Bushmen, prétendant au contraire mener des "consultations" mais jamais avec l’intention de conclure un accord avec les Bushmen, ni même de les écouter. Il leur a simplement annoncé qu’il ne voulait plus d’eux sur leurs terres ancestrales. Le gouvernement entend par "consultation" le fait d’imposer ses propres décisions.

25 – Le gouvernement n’est-il pas libre et démocratique ?

Ceux qui le critiquent sont écartés de leurs familles et forcés à l’exil. Des ministres ont exigé mon arrestation ; des fonctionnaires m’ont prévenu que je serais roué de coups ; l’avocat des Bushmen a été interdit d’entrée au Botswana. Ce ne sont pas des signes de liberté et de démocratie.

26 -Survival n’a-t-elle pas exagéré certains faits en prétextant que des Bushmen avaient été tués ou torturés ?

Non. Toutes nos informations sont fiables. Les sévices et la torture ont été monnaie courante pendant des années et le sont encore. Tous ces cas ont été recensés, mais rien n’a été fait à ce sujet. Il y a eu trois incidents en septembre 2005 au cours desquels la police a tiré sur des Bushmen, dont un enfant, laissant des blessés.

27 – Cette affaire ne serait-elle pas liée personnellement à vous-même ?

Pas du tout. Des membres du gouvernement ont ouvertement souhaité que je meure. Mais ma mort ne changerait rien. Survival est le plus grand mouvement international de soutien aux peuples autochtones et tous ses sympathisants se sont ralliés à cette campagne. Cette affaire ne dépend ni de moi ni d’un quelconque individu. Des centaines de milliers de gens sont solidaires de cette cause.

28 – Alors à Roy Sesana ?

Non. Les Bushmen ne font pas toujours ce que dit Roy Sesana : il n’est que l’un de leurs porte-paroles. Nous avons entendu de nombreux Bushmen – des centaines d’entre eux : tous veulent retourner chez eux dans la réserve.

29 – Pourquoi Survival refuse-t-elle de négocier avec le gouvernement ?

Nous ne refusons pas.

30 – Pourquoi Survival soutient-elle que tout cela est en rapport avec l’exploitation de diamants dans la réserve ?

Parce que c’est la vérité. Bien que le gouvernement, De Beers et les ONG botswanaises soutiennent encore que le diamant n’a rien à voir avec les expulsions, il n’en reste pas moins que des gisements de diamants sont actuellement exploités en territoire bushman. Et les gens n’achèteront tout simplement pas ces diamants lorsqu’ils sauront ce qui est arrivé aux Bushmen.

31 – L’exploitation minière pourrait-elle se poursuivre si les droits territoriaux des Bushmen étaient respectés ?

Oui, bien sûr.

32 – Alors pourquoi le gouvernement ne laisse-t-il pas simplement les Bushmen qui le désirent retourner dans la réserve ?

Il les veut hors de la réserve dès maintenant parce qu’il craint que leur présence ne fasse obstacle à l’exploitation minière dans les années à venir. Il déteste l’idée que les Bushmen ne sont pas des être inférieurs, qu’ils peuvent prendre leurs propres décisions et qu’ils ont des droits. Des représentants de l’autorité leur ont annoncé : "Vous nous appartiendrez jusqu’à la fin des temps." Le gouvernement se cramponne désespérément à cette relation dépassée de maître-serviteur aux relents colonialistes et racistes.

33 – Survival défie-t-elle le pouvoir du gouvernement botswanais ?

Pas du tout. Nous avons toujours su que seul le gouvernement de ce pays avait le pouvoir de résoudre ce problème.

34 – Est-ce que cela ne relève pas tout simplement d’un passé où la puissance coloniale britannique dictait au Botswana ce qu’il devait faire ?

Non, pas du tout. Le gouvernement britannique ne veut pas non plus aider les Bushmen. Si Survival critique de nombreux gouvernements sur la façon dont ils traitent leurs peuples autochtones, il lui arrive aussi de critiquer le gouvernement britannique.

35 – Sur quels arguments se fonde Survival pour soutenir que le Botswana devrait respecter la volonté des Bushmen et leur permettre de vivre sur leur terre ancestrale ?

Sur les législations internationales relatives aux droits des peuples autochtones et aux droits humains. Les droits territoriaux des peuples autochtones et tribaux sont reconnus depuis 50 ans par une convention internationale. Le Botswana l’ignore et refuse de la ratifier.

36 – De quel droit parlez-vous au nom des Bushmen ?

Nous n’avons jamais prétendu parler au nom de qui que ce soit. Les Bushmen sont parfaitement capables de parler pour eux-mêmes. Nous défendons ceux dont les droits ont été bafoués et nous répercutons leurs voix lorsqu’ils ne peuvent le faire seuls. C’est notre travail, comme celui de toute organisation de défense des droits humains. Les Bushmen nous appellent régulièrement à l’aide depuis des années.

37 – Que fera Survival si la Cour refuse aux Bushmen le droit de retourner vivre et chasser dans la réserve ou bien si elle leur reconnaît ce droit et que le gouvernement l’ignore ?

Nous continuerons notre campagne.

38 – Que fera Survival si le gouvernement accorde aux Bushmen qui le désirent le droit de retourner dans la réserve et de pouvoir y vivre et chasser sans être persécutés ?

Nous accueillerons cette décision avec satisfaction et arrêterons la campagne. Le Botswana pourra alors devenir véritablement un modèle en matière des droits des peuples autochtones d’Afrique.

39 – Si le gouvernement ne choisit pas cette voie, existe-t-il d’autres raisons qui amèneraient Survival à mettre fin à sa campagne ?

Non. Notre travail ne consiste pas à mettre en péril l’avenir, les droits et le bien-être des Bushmen. Nous faisons preuve de persévérance depuis des décennies, nous n’abandonnerons tout simplement jamais. Ce n’est pas une menace, ce n’est qu’un constat.

40 – Pourquoi les nommez-vous Bushmen ?

Nous utilisons ce terme pour deux raisons. Premièrement, lorsque nous avons demandé aux Bushmen ce qu’ils en pensaient, ils ont répondu que ce terme, qu’ils préféraient à Basarwa ou à San, était celui qui faisait le mieux état de leur relation au "bush", à la terre qui les nourrit. Deuxièmement, il s'agit du terme le plus largement utilisé dans le monde anglophone, une considération essentielle pour une large circulation de l’information sur leurs luttes. Cette seconde raison explique peut-être pourquoi le Bureau du Tourisme botswanais lui-même utilise ce terme.

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