Au Brésil ou ailleurs, pas de “transition verte” sans respect des droits des peuples autochtones

Emmanuel Macron rencontre Lula et les leaders autochtones Raoni Metuktire et Davi Kopenawa à Belém © Hutukara

27 mars 2024

Monsieur le Président,

Lors de sa visite en France en 2021, Davi Kopenawa a rencontré des parlementaires à l’Assemblée Nationale et au Sénat et s’est interrogé sur les dorures qui ornent ces lieux emblématiques de la République :

“D’où vient l’or ?”

Loin d’être anecdotique, cette question mérite d’être posée, et y répondre doit être une priorité dans le soutien aux Yanomami : d’où vient l’or acheté en France ? Comment s’assurer qu’il ne provient pas du territoire yanomami dans le nord du Brésil et le sud du Vénézuela, où des dizaines de milliers d’orpailleurs illégaux détruisent la forêt, polluent les fleuves avec du mercure, diffusent des maladies mortelles comme la malaria, attaquent, violent et tuent des personnes yanomami et causent une crise humanitaire qui ne cesse de s’aggraver ? Rappelons que la question de l’orpaillage illégal concerne aussi le territoire de la France, car ce fléau frappe la Guyane française depuis des décennies et a de lourdes conséquences, amplement documentées, sur la santé des peuples autochtones et sur l’environnement.

Cet or extrait illégalement est très difficile à tracer et l'absence de mécanismes fiables de traçabilité (actuellement basés sur des certificats papier) ainsi que le manque de contrôle sur son origine permettent de le commercialiser par des voies officielles, y compris au niveau international. Il est crucial de développer des outils aux niveaux français et européen pour la traçabilité de l’or et autres minerais et empêcher leur importation s’ils causent la destruction de l’environnement ou des violations des droits des peuples autochtones.

De par la déforestation et l’arrivée de populations venues de l’extérieur qu’il implique, l’orpaillage illégal mène à une situation dramatique dans le territoire yanomami. Au Venezuela, de nombreux Yanomami meurent du paludisme, de la tuberculose et de la malnutrition et ne reçoivent que peu ou pas de soins médicaux. Au Brésil, en 2023, le nombre de cas de paludisme chez les Yanomami a doublé jusqu’à atteindre 30 000 cas, et le nombre de morts liés à des maladies a augmenté de 6% par rapport à 2022. Tout soutien financier de la France au Brésil doit donc être conditionné à l'expulsion définitive par le gouvernement brésilien de tous les orpailleurs illégaux, au financement d'un programme de protection des terres et à la fourniture de soins de santé d'urgence aux Yanomami qui en ont besoin, tout en veillant à ce qu'il n'y ait pas d'incursions dans les forêts des Yanomami non contactés, qui sont particulièrement vulnérables. Nous vous appelons à insister sur ces exigences lors de vos discussions avec le Président Lula et le gouvernement brésilien.
  
Dans le même temps, cette rencontre avec Davi Kopenawa ne doit pas vous faire oublier les violations des droits des peuples autochtones qui sont commises dans le cadre de projets financés par la France dans d’autres régions du monde.

Dans le bassin du Congo, en Inde ou encore au Kenya, des Aires protégées sont financées par l’Agence française de développement (AFD) au nom de la protection de la biodiversité, mais mènent à l’expulsion des peuples autochtones de leurs terres et à la perte de leurs moyens de subsistance et de leur mode de vie. Ils subissent aussi des violences aux mains des gardes forestiers, allant jusqu’au viol, au meurtre ou à la torture. Nous avons interpellé le gouvernement et l’AFD sur plusieurs de ces situations, et encore récemment sur le cas du parc national d’Odzala Kokoua en République du Congo. Nous vous exhortons à cesser de financer ces projets et à mettre en place des garanties structurelles pour sortir de ce modèle de “conservation” qui détruit les peuples qui, depuis des générations, ont pris soin de leurs terres et de la biodiversité qui s’y trouve. Il a été scientifiquement prouvé que les peuples autochtones sont les meilleurs gardiens de leurs territoires.

En Indonésie, les membres non contactés du peuple autochtone Hongana Manyawa font face à la destruction de leur territoire et risquent d’être anéantis par les opérations minières de l’entreprise française Eramet. Celle-ci est détenue à hauteur de 27% par l’État, et extrait du nickel sur l’île d’Halmahera, à destination notamment des constructeurs de véhicules électriques. Puisqu’il est impossible d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé, garanti en droit international, de la part de peuples non contactés, Eramet doit immédiatement cesser d’exploiter leurs terres. L’entreprise ne doit en aucun cas tenter des contacts forcés ou des expulsions, qui dans cette situation sont décrites par des experts comme un processus génocidaire. Ni la transition écologique, ni les approvisionnements en minerais ne sauraient justifier le génocide de l’un des peuples les plus vulnérables au monde. Nous vous demandons donc de faire en sorte que la France ne s’en rende pas complice.

Ces multiples situations de violations des droits des peuples autochtones dans le cadre de financements ou d’investissements français démontrent encore une fois le caractère essentiel du cadre juridique fourni par la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail. Une convention que nous vous demandons, une fois encore, de ratifier.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, nos salutations respectueuses.

Survival International

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