Le mythe du ‘mauvais sauvage’

© Fiona Watson/Survival

Ou comment certains auteurs contribuent à forger une image des peuples indigènes comme étant particulièrement violents.

Survival explore le mythe du ‘mauvais sauvage’ en analysant les récents travaux de certains auteurs versant dans la vulgarisation scientifique, selon lesquels les peuples indigènes vivraient dans un état de violence chronique.

Steven Pinker (‘psychologue évolutionniste’)

Dans l’ouvrage The Better Angels of Our Nature (2011) [Les meilleurs anges de notre nature], Steven Pinker dépeint l’image fallacieuse et colonialiste du ‘mauvais sauvage’ arriéré, qui a fait reculer d’un siècle en arrière le débat sur les droits des peuples indigènes, et qui est toujours utilisée pour justifier leur destruction. Pour en savoir plus sur les raisons pour lesquelles Pinker et sa ‘science’ font fausse route.

Napoleon Chagnon (anthropologue)

Steven Pinker n’aurait sans doute pas été en mesure de parvenir à ses conclusions sur la violence des peuples indigènes sans les travaux hautement controversés d’un anthropologue en particulier : Napoleon Chagnon, qui a étudié la tribu des Yanomami depuis les années soixante, les surnommant ‘le peuple féroce’. Mais les Yanomami sont-ils véritablement féroces?

L’opinion de Napoleon Chagnon, selon laquelle les Yanomami seraient ‘sournois, agressifs et intimidants’ et qu’ils ‘se livrent à des guerres incessantes’ a été largement discréditée. Malgré tout, tant les conclusions de Diamond que de Pinker sur la violence des peuples indigènes reposent sur ses travaux.

Jared Diamond (géographe)

Le livre de Jared Diamond The World Until Yesterday paru en français en 2013 sous le titre Le monde jusqu’à hier, semble à première vue traiter des enseignements que les peuples industrialisés (qu’il nomme ‘modernes’) peuvent tirer des peuples indigènes (qu’il appelle ‘traditionnels’). Néanmoins son ouvrage nous adresse aussi un autre message, bien plus pernicieux celui-ci, à savoir que la plupart des peuples indigènes se livrent à des guerres incessantes et que l’intervention de l’Etat est non seulement nécessaire mais qu’ils l’accueillent à bras ouverts car elle seule mettrait un frein à leur comportement belliqueux. En savoir plus.

Steven Pinker

Le 11 juin 2013, Truthout a publié un article rédigé par le directeur de Survival, Stephen Corry, à propos de l’ouvrage de Steven Pinker The Better Angels of Our Nature: The Decline of Violence in History and its Causes [Les meilleurs anges de notre nature : le déclin de la violence à travers l’histoire et ses causes].

Commentaires sur l’article de Truthout.

Lire la version complète annotée ici.

Publication par Open Democracy de la version complète de l’article.

Napoleon Chagnon

Truthout vient de publier un article du directeur de Survival, Stephen Corry, à propos du dernier ouvrage de Chagnon, Noble Savages [Nobles sauvages].

Lire la version annotée.

Si les descriptions des Indiens comme des gens violents et sauvages sont très répandues, le pire exemple récent de cette stigmatisation nous est donné par le très controversé anthropologue américain Napoleon Chagnon, qui a réalisé des études de terrain chez les Yanomami du Venezuela depuis les années soixante.

Dans son ouvrage, Yanomamö : The Fierce People [Yanomamö : le peuple féroce], Chagnon a fabriqué une image sensationnaliste de ce peuple, décrivant ses membres comme ‘sournois, agressifs et intimidants, féroces’, se livrant à des guerres incessantes’.

Le peuple féroce est devenu un best-seller aux Etats-Unis et reste aujourd’hui encore un ouvrage de référence pour les étudiants en anthropologie. C’est également la source incontournable de nombreux ouvrages récents de vulgarisation scientifique, tels ceux publiés par Jared Diamond et Steven Pinker, qui participent également à la fabrication du mythe du ‘mauvais sauvage’.

Controverse

En dépit de la popularité du Peuple féroce, les conclusions de Chagnon n’en ont pas moins été vivement critiquées. De nombreux anthropologues, médecins et missionnaires qui ont une grande expérience des Yanomami pour avoir travaillé auprès d’eux pendant de nombreuses décennies, mettent tout simplement en cause les conclusions de Chagnon et sont en profond désaccord avec sa description de ce groupe.

Le 19 février 2013, Chagnon a publié son autobiographie, Noble Savages: My Life Among Two Dangerous Tribes – The Yanomamö and the Anthropologists. [Nobles sauvages : ma vie au sein de deux tribus dangereuses – Les Yanomamö et les anthropologues].

De nombreux anthropologues spécialistes des Yanomami du Venezuela et du Brésil ont cosigné une lettre ouverte pour condamner la représentation que Chagnon fait des Yanomani.

L’illustre anthropologue Marshall Sahlins explique comment Chagnon a orienté ses recherches sur les Yanomami pour parvenir à ses fins. Sahlins a d’ailleurs récemment présenté sa démission à l’Académie nationale des sciences en guise de protestation contre l’élection de Napoleon Chagnon à cette même académie.

L’un des plus grands professeurs d’anthropologie brésiliens, Eduardo Viveiros de Castro, soutient que les Yanomani sont loin d’être les robots sociobiologiques méchants et impitoyables dépeints par Chagnon.

Les éminents anthropologues Philippe Descola et Manuela Carneiro da Cunha ont publié un communiqué sur les travaux de Chagnon et la démission de Sahlins.

Des spécialistes ont écrit au Daily Télégraph pour protester contre un article de 2001 faisant écho aux thèses de Chagnon.

Carlo Zacquini, un missionnaire catholique laïque qui a travaillé et vécu parmi les Yanomami pendant près de cinquante ans, ‘n’a jamais constaté qu’ils étaient violents’.

Les Yanomami prennent la parole

Ecoutez ce que Davi Kopenawa, porte-parole des Yanomami et président de l’association Hutukara, dit des ouvrages Le peuple féroce et Les nobles sauvages au cours d’un entretien avec Survival.

Dans un extrait tiré de La chute du ciel, Paroles d’un chaman Yanomami, de Davi Kopenawa et Bruce Albert, il analyse le phénomène de la violence au sein des sociétés occidentales.

S’il est vrai qu’un petit nombre de Yanomami a pu trouver la mort à l’occasion de conflits internes, bien plus encore ont été tués par des étrangers au cours de violentes attaques ou en raison de maladies dont ces derniers étaient porteurs.

On estime à environ 20% la proportion de Yanomani décédés entre 1989 et 1993 des suites de maladies véhiculées par les orpailleurs. Ces invasions constituent toujours de graves menaces à leur santé et à leur sécurité. Davi Kopenawa met en garde :

Aujourd’hui nos véritables ennemis sont les orpailleurs, les éleveurs de bétail et tous ceux qui cherchent à s’emparer de nos terres. C’est contre eux que notre colère doit être dirigée. Voilà ce que je pense.

“Davi © Luciano Padrão/CAFOD

Conséquences

Mais le plus regrettable de tout cela est que la réalité dans laquelle vivent les Yanomanis eux-mêmes a été largement ignorée, dès lors que les médias ont fait le choix de se focaliser sur les détails juteux de la polémique qui fait rage entre anthropologues, ou sur les analyses controversées avancées par Chagnon. En revanche, il est rarement mentionné que Le peuple féroce a eu des conséquences désastreuses, non seulement sur les Yanomami mais sur les peuples indigènes en général.

Lire comment la description de l’hostilité des Yanomami les uns envers les autres eut de l’influence sur la dictature militaire au Brésil.

Lire pourquoi le gouvernement du Royaume Uni a refusé de financer un projet éducatif avec les Yanomani.

Plus récemment, Jared Diamond, dans son ouvrage controversé, Le monde jusqu’à hier. Ce que nous apprennent les sociétés traditionnelles, a repris les conclusions de Chagnon à l’appui de sa démonstration erronée selon laquelle ‘la plupart des sociétés traditionnelles’ comme les Yanomami se livrent à des ‘guerres incessantes’ ; qu’elles sont bien plus violentes que les sociétés industrialisées ; qu’elles accueillent à bras ouvert l’Etat, seul à même de les ‘pacifier’.

Le livre de Diamond a été condamné par le directeur de Survival, Stephen Corry, des organisations indigènes et de nombreux universitaires, et ses arguments ont été comparés à ceux des colons européens qui ont dans leur temps cherché une justification aux brutalités de l’impérialisme.

Pour aller plus loin.

Consultez le blog de Anthropology Report pour un compte rendu complet des critiques formulées par les anthropologues à propos de Nobles sauvages.

Jared Diamond

Le 30 janvier 2013, le Daily Beast a publié un article du directeur de Survival, Stephen Corry, à propos de l’ouvrage de Jared Diamond Le monde jusqu’à hier.

Les sauvages primitifs : Les errements du nouveau livre de Jared Diamond.

“L’ouvrage © Survival International

Lire la versoin annotée.

Voir la version résumée.

Take part a publié une version plus courte.

Die Welt a publié une traduction en allemand de l’article le 5 février 2013.

Découvrir ce que le leader indigène de Papouasie occidentale Benny Wenda pense de l’ouvrage.

Ecouter l’interview (15 minutes) de Stephen Corry diffusée le 31 janvier 2013 par la WBEZ (anciennement Chicago Public Radio).

Lire l’article du Guardian en date du 3 février 2013 : ‘Jared Diamond est vivement critiqué pour son analyse selon laquelle les peuples indigènes se livrent à des guerres incessantes’.
Diamond pense que les peuples indigènes accueillent l’intervention de l’Etat à bras ouverts. Wamaxua Awá, un Indien récemment entré en contact avec le monde extérieur, n’est pas de cet avis.

Découvrir pourquoi les chefs papous sont en colère et exigent les excuses de Jared Diamond.

Voir la critique cinglante du professeur de l’université de Yale, James C Scott’s, dans la London Review of Books.

Les réponses de Survival.

Le 4 février 2013, Jared Diamond a été interviewé sur la chaîne de télévision BBC à propos de son nouveau livre Le monde jusqu’à hier. Il n’a pas accepté qu’un représentant de Survival soit présent pour contester ses idées. Il a également donné de nombreuses autres interviews (par exemple sur BBC Radio 3 Nightwaves). Nous avons retranscrit certaines de ses affirmations et nos réponses à ces dernières.

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