Les dangers du tourisme chez les peuples autochtones

Un Jarawa et son enfant au bord de la route, Andaman. © Salomé

Pourquoi le tourisme chez les peuples autochtones est rarement éthique et peut même s’avérer dangereux.

Comme tous les humains, nous nous déplaçons. Nous voyageons, nous l’avons toujours fait. Voyager est un acte solidement ancré dans la mentalité humaine. N’avons-nous pas quitté les savanes africaines il y a des milliers d’années pour découvrir le reste du monde?

Aujourd’hui, l’industrie du voyage est l’un des grands secteurs de l’économie mondiale. Nous quittons notre foyer pour nous lancer à l’assaut des montagnes, randonner dans les forêts tropicales et les déserts, danser à Cuba, traverser le détroit des Dardanelles à la nage, flâner dans les souks ou paresser sur une plage. Dans son livre L’art du voyage, l’écrivain suisse Alain de Botton réfléchit sur les raisons profondes qui nous poussent à voyager. Il estime que la première d’entre elles est la recherche de perspectives nouvelles, car il pense que nous ne pouvons véritablement nous construire sans changer de lieu d’existence. Le changement était une motivation fondamentale de l’écrivain-voyageur Bruce Chatwin. ‘Changer d’habitudes, de nourriture, d’amours et de paysages’, écrit-il. ‘Nous en avons autant besoin que de l’air que nous respirons’.

Ainsi, voyageons-nous pour approfondir nos connaissances, pour le plaisir, pour nous éclairer, pour atténuer l’ennui de la routine quotidienne et pour satisfaire les rêves de nos esprits curieux. Nous voyageons pour secouer nos âmes et apaiser notre inquiétude atavique. Che Guevara pensait que ‘nous ne voyageons que pour voyager’. Il semblerait maintenant que nous en voulions davantage. Nous désirons atteindre des contrées toujours plus hautes, plus lointaines, plus sauvages. Alors que le monde s’urbanise et s’homogénéise de plus en plus, l’appel de l’inconnu se fait probablement plus pressant et les raisons de voyager vers des horizons lointains toujours plus fortes.

Mais c’est là que le tourisme d’aventure peut devenir extrêmement dangereux – pour les peuples autochtones. Les destinations touristiques recommandées dans les guides ou promues par les agences de voyage, qui vont des profondeurs de la verte Amazonie aux glaces bleutées de l’Arctique en passant par les hautes terres de Papouasie, sont souvent habitées depuis des générations par des peuples autochtones. Ce qui constitue un lieu de dépaysement pour un homme est un lieu de vie pour un autre.

Indiens isolés du Brésil, mai 2008. Nombre d’entre eux sont menacés par l’exploitation forestière illégale qui sévit du côté péruvien de la frontière. © G. Miranda/FUNAI/Survival

Les modes de vie des peuples autochtones peuvent être gravement perturbés et même menacés par le tourisme. Leurs droits territoriaux sont reconnus par le droit international et devraient être respectés, que les gouvernements nationaux appliquent ou non la loi. Lorsqu’ils se trouvent en territoire autochtone, les touristes devraient se comporter comme ils le feraient dans n’importe quelle propriété privée.

Hommes dani, vallée de Baliem, Papouasie occidentale, 1991. © Jeanne Herbert/Survival

Il est également dangereux pour les touristes d’approcher des groupes ayant peu de contact avec le monde extérieur. Il est tout à fait possible que ceux-ci réagissent de manière hostile envers les intrus. De même, les touristes peuvent leur transmettre des maladies infectieuses contre lesquelles ils sont peu immunisés. ‘Il n’y a pas de problème à ce que des touristes se rendent chez des peuples autochtones en contact régulier avec le monde extérieur depuis un certain temps, mais seulement s’ils le désirent, s’ils peuvent contrôler eux-mêmes où vont les touristes et ce qu’ils font, et s’ils en obtiennent un retour équitable’, recommande Stephen Corry de Survival International.

Le tourisme représente une grave menace sanitaire pour les Jarawa des îles Andaman, dans l’Océan Indien. Des tour-opérateurs peu scrupuleux conduisent des milliers de touristes chaque mois le long de la route illégale, l’Andaman Trunk Road, qui traverse leur réserve dans l’espoir qu’ils puissent observer des membres de la tribu. Ce genre de tourisme s’apparente à un sinistre safari humain. Une épidémie risque de faire disparaître en peu de temps cette tribu de chasseurs-cueilleurs. Cependant, un espoir subsiste : suite à l’appel au boycott de la route que Survival a lancé auprès des touristes, six agences touristiques, sensibles au sort des Jarawa, ont soutenu cette initiative, certaines d’entre elles allant jusqu’à distribuer des tracts à l’aéroport de l’île pour appeler à un boycott total de la route. Mais tant que la route restera ouverte, la menace continuera de planer sur les Jarawa.

Ainsi, lorsque tourisme et peuples autochtones entrent en conflit, les raisons de cet engouement pour le voyage ont besoin d’être soigneusement analysées. Les voyageurs qui envisagent de visiter des zones où vivent des peuples autochtones doivent penser aux effets à long terme de l’impact de leur visite sur ces peuples et ne pas uniquement vouloir ressentir le frisson fugace d’une expérience exotique à raconter une fois rentrés à la maison. Le bonheur du voyage et de la découverte – le besoin de trouver le beau’ selon les mots du poète Ralph Waldo Emerson – ne justifie pas la mise en danger des peuples autochtones.

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