Peuples non contactés : les menaces

Autochtones non contactés du Brésil aperçus depuis les airs au cours d’une mission gouvernementale, mai 2008 © G. Miranda/FUNAI/Survival, 2008

Les peuples non contactés sont les peuples les plus vulnérables de la planète. Une vaste panoplie de forces extrêmement puissantes joue contre eux.

Les éleveurs de bétail

De tous les peuples autochtones anéantis pour s’être trouvés sur la route du “progrès”, peu ont connu un destin aussi poignant que les Akuntsu. Leur sort est d’autant plus tragique qu’il est tout récent.

Personne ne parlant leur langue, on ne saura peut-être jamais ce qui leur est vraiment arrivé. Mais lorsque des agents du département brésilien des affaires indiennes (FUNAI) les ont contactés en 1995, ils ont découvert que les éleveurs de bétail, qui avaient fait main basse sur les terres de ces autochtones, avaient massacré presque tous les membres de la peuple et détruit ensuite leurs habitations au bulldozer pour camoufler le massacre.

Les cinq derniers Akuntsu. Lorsqu’ils mourront, leur tribu disparaîtra © Fiona Watson/Survival

Seuls cinq Akuntsu ont survécu. L’un des hommes, Pupak, a encore des plombs dans le dos et peut mimer la scène où des hommes en armes l’ont pourchassé à cheval. Lui et son petit groupe de survivants vit maintenant à l’écart dans une petite parcelle de forêt qui est tout ce qui reste de leur terre et de leur peuple.

Les maladies

Les maladies exogènes représentent la première cause de décès pour les peuples non contactés. Ceux-ci n’ont en effet pas développé de défenses immunitaires contre le virus de la grippe, de la rougeole ou de la varicelle comme l’ont fait la plupart des autres sociétés qui sont en contact avec le monde extérieur depuis des centaines d’années.

Au Pérou, plus de la moitié du peuple récemment contacté des Nahua a été anéantie suite à l’exploration pétrolière de leurs terres au début des années 1980, une tragédie qui a aussi frappé les Murunahua au milieu des années 1990 après un contact imposé par des bûcherons qui abattaient illégalement les acajous.

“Jorge © Survival

L’un des survivants du peuple, Jorge, qui a perdu un œil au cours de ce premier contact, a raconté à un enquêteur de Survival que “la maladie est apparue lorsque les bûcherons ont pris contact avec nous alors que nous ne savions pas ce qu’était un rhume. La maladie nous a tués. La moitié des nôtres sont morts. Ma tante est morte, mon neveu est mort. La moitié de mon peuple est mort.”

Les missionnaires

Depuis cinq cents ans, les missionnaires chrétiens sont à la source des premiers contacts établis avec les peuples et la pratique continue de nos jours. Comme nombre d’entre eux pensent que ces peuples “primitifs” mènent une existence misérable “dans l’obscurité”, leur but ultime est leur conversion au christianisme – quel que soit le prix payé par ces peuples en termes de santé ou de libre arbitre.

Il y a quelques années au Pérou, des missionnaires protestants évangéliques ont construit un village dans l’une des régions les plus reculées de l’Amazonie péruvienne dans le but d’entrer en contact avec un peuple non encore contacté vivant dans la région. Ils ont réussi à établir un contact avec quatre personnes, un homme et trois femmes. L’homme, qui répond au nom d’Hipa, a expliqué à un enquêteur de Survival, à propos de ce premier contact : "je mangeais des cacahuètes quand j’ai entendu les missionnaires arriver en canot à moteur. En entendant le bruit du moteur, je me suis dit : ‘Que se passe-t-il? Un canot à moteur! Des gens viennent!’ Quand nous les avons aperçus, nous sommes allés nous cacher plus loin dans les broussailles. Les missionnaires criaient : ‘Venez! Venez!’ "

Des membres de la New Tribes Mission, une organisation missionnaire fondamentaliste basée aux États-Unis, ont entrepris une mission clandestine visant à entrer en contact avec les Zo’é du Brésil afin de les convertir au christianisme. Entre 1982 et 1985, ces missionnaires ont survolé les villages zo’é en lançant des cadeaux. Puis ils ont bâti un poste missionnaire à quelques jours de marche seulement des villages indiens. Suite au premier vrai contact établi en 1987, 45 Zo’é sont morts d’épidémies de grippe, de malaria et de maladies respiratoires transmises par les missionnaires.

“La © Fiona Watson/Survival

Absolument pas préparée à cette situation, la New Tribes Mission n’a pas su fournir l’aide médicale nécessaire aux Zo’é. De plus, sa politique de sédentarisation des Zo’é autour de la mission a conduit à une propagation rapide des maladies, et le régime alimentaire des Indiens s’est dégradé car le gibier s’est mis à manquer suite à la concentration d’Autochtones au même endroit. À mesure que la santé des Zo’é s’est aggravée, ils ont cessé d’être autosuffisants et se sont mis à dépendre de plus en plus étroitement des missionnaires. La réaction du gouvernement a été d’expulser les missionnaires en 1991. Depuis lors, les Zo’é vivent en paix, reçoivent une aide médicale adéquate et leur population est en augmentation.

Les colons

Les Awá sont l’un des derniers peuples de chasseurs-cueilleurs nomades du Brésil. Ils vivent dans la région déjà saccagée de l’Amazonie orientale et sont aujourd’hui encerclés par de vastes entreprises agro-industrielles, des ranches de bétail et des colonies de peuplement. To’o, un Awá, explique comment la colonisation détruit leur terre et leur mode de vie :

Hommes awá chassant dans la forêt © Fiona Watson/Survival

“Si les Indiens awá sont forcés de quitter leur terre, ce sera très difficile. Nous ne pouvons pas vivre ailleurs : ici il y a les fruits de la forêt et les animaux sauvages. Nous ne pourrions pas survivre sans la forêt car nous ne savons pas vivre comme les hommes blancs qui peuvent survivre dans des zones déboisées. Depuis des années nous fuyons le long des cours d’eau avec les Blancs à nos trousses qui déboisent toute notre forêt.

Dans le temps, il y avait de nombreux singes hurleurs et des cerfs, mais aujourd’hui il n’en reste presque plus car la forêt a été abattue. Les colons qui se sont installés ici nous rendent la vie difficile parce qu’eux aussi chassent le gibier.

Nous sommes acculés par les Blancs qui viennent de partout. Ils avancent toujours plus et maintenant ils nous encerclent. Nous sommes toujours en train de fuir. Nous aimons la forêt car nous y sommes nés et nous savons comment en vivre. Nous ne connaissons pas l’agriculture ou le commerce et nous ne parlons pas le portugais. Nous dépendons de la forêt. Sans la forêt, nous allons disparaître, nous allons nous éteindre.

Jour après jour, à mesure que croît la population blanche autour de notre réserve, les maladies comme la malaria et la grippe se propagent, et nous devons également partager le gibier avec les colons. Comme ils ont des fusils, ils en tuent plus que nous. Nous sommes très inquiets car le gibier se fait rare et nous ne pourrons plus nourrir nos enfants à l’avenir."

Un Awá descendant le route construite par les bûcherons © Uirá Garcia/Survival

Les bûcherons

Beaucoup des régions habitées par les peuples non contactés sont envahies illégalement par des bûcherons qui entrent ainsi souvent en contact avec des membres du peuple. Nombre d’entre eux meurent des maladies transmises par les bûcherons ou sont même tués par eux.

La situation est particulièrement préoccupante au Pérou. Les régions habitées par des Indiens non contactés abritent aussi certains des derniers massifs d’acajou encore commercialement exploitables, et des bûcherons clandestins, profitant de l’absence de tout véritable contrôle de l’État, pillent la région à leur guise.

Exploitation forestière à Madre de Dios, sud-est du Pérou. © FENAMAD

Les Murunahua ont été décimés suite au contact avec des bûcherons et, si rien n’est fait pour arrêter l’invasion, le même sort attend les Mashco-Piro. “Les bûcherons sont arrivés et ont chassé les Mascho-Piro plus haut en amont de la rivière en direction des sources,” explique un Indien qui a aperçu plus d’une fois les Mashco-Piro. “Les bûcherons les ont vus sur les rives, ils ont vu leurs campements et leurs traces. Les bûcherons veulent sans cesse les tuer, et ils l’ont déjà fait.”

Les routes

En 1970, le peuple Panará du Brésil comptait entre 350 et 400 membres et vivait dans cinq villages disposés selon des motifs géométriques complexes et entourés de vastes jardins.

Une grande route a été tracée au bulldozer à travers leurs terres au début des années 1970, avec des conséquences qui se sont très vite révélées désastreuses. Les responsables du chantier ont attiré les Indiens hors de la forêt avec de l’alcool et ont forcé les femmes à la prostitution. Des vagues d’épidémies s’en sont suivies, ravageant le peuple panará et causant la mort de 186 d’entre eux. Au cours d’une opération de secours, les survivants furent aéroportés vers le Parc du Xingu, où d’autres décès furent encore à déplorer. Il ne resta bientôt plus que 69 Panará. Plus du 80% des membres du groupe avaient été tués en 8 ans à peine.

Aké, un leader panará qui a survécu, se souvient de cette époque : "Nous étions dans notre village et tout le monde a commencé à mourir. Certains sont allés dans la forêt, et d’autres encore y sont morts. Nous étions faibles et malades et ne pouvions même plus enterrer nos morts. Ils sont restés à pourrir sur le sol. Les vautours ont tout dévoré.

Entre 1994 et 1996, les derniers Panará ont pu retourner dans la partie de leur territoire où la forêt n’avait pas disparu. Ils ont alors pris la décision historique de poursuivre le gouvernement brésilien pour le traitement atroce dont ils avaient été l’objet. En octobre 1997, un juge a déclaré l’État brésilien coupable d’avoir causé “mort et dévastation culturelle” au peuple panará et ordonné à l’État de verser des dommages et intérêts d’une valeur de 540 000 dollars US au peuple.

Un Jarawa et son enfant au bord de la route, Andaman. © Salomé

Le peuple jarawa des îles Andaman a vu son territoire coupé en deux lorsque l’administration locale y a construit une route. C’est maintenant l’artère principale de l’archipel, qui non seulement voit passer un flux ininterrompu de colons se déplaçant en bus et en taxi mais qui constitue également une voie de pénétration pour les touristes aussi bien que pour les braconniers opérant sur la réserve des Jarawa (qui, contrairement au reste de l’archipel, est encore couverte de forêt pluviale). On voit souvent aujourd’hui des enfants jarawa mendiant le long de la route et certains signes indiquent l’existence d’une exploitation sexuelle des femmes jarawa.

À la suite d’une longue bataille juridique, la Cour suprême indienne a ordonné au gouvernement de fermer la route, jugeant que sa construction avait été illégale et qu’elle mettait en danger la vie des Jarawa. Le gouvernement local a refusé de se soumettre et a maintenu la route ouverte.

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